Le Yucatân, Mexique.
Le quatrième membre permanent de l’équipe de Missions spéciales de la NUMA aurait été la dernière à se qualifier de chanceuse. Pendant que ses collègues profitaient du confort et de l’air conditionné, Gamay Morgan-Trout dégoulinait de transpiration et sa nature généralement agréable se détériorait au fur et à mesure que montait la température ambiante déjà à 27°C qui continuait à grimper. Elle avait du mal à croire que l’humidité était de 100 %, sans un nuage dans le ciel.
Les bras croisés sur sa poitrine, elle appuyait sa longue silhouette souple contre la Jeep garée sur le bas-côté herbeux du long ruban d’asphalte qui coupait à travers la forêt. Des mirages, au-dessus des flaques d’eau frémissantes, dansaient sur l’asphalte gris. Cet endroit désolé lui rappelait l’autoroute déserte de North by Northwest où Cary Grant était poursuivi par un avion pulvérisateur.
Gamay regarda le ciel pâle. Pas de pulvérisateur en vue. Rien que de vieux vautours volant paresseusement en cercles. L’endroit était peu propice aux busards affamés. Les restes des victimes de la route devaient être bien minces. Une seule voiture était passée au cours de l’heure précédente. Elle entendit le bruit du vieux camion bien avant de le voir. Il faisait un bruit de ferraille, avec son chargement de poulets à moitié morts, laissant dans son sillage un nuage de plumes blanches. Le chauffeur n’avait même pas ralenti pour voir si elle avait besoin d’aide.
Se disant qu’il était stupide de rester au soleil, Gamay alla se mettre à l’ombre dans la Jeep, sous le toit décapotable, et but une gorgée d’eau fraîche dans une Thermos. Pour la troisième fois, au moins, elle déplia la carte que le professeur Chi lui avait faxée de Mexico. Le papier était humide et ramolli par la sueur de ses mains. Dans la matinée elle avait roulé vers l’intérieur des terres, venant de Ciudad del Carmel où le Nereus était à l’ancre, suivant la carte à la lettre dans le paysage plat et monotone du Yucatân, en faisant très attention aux notations nettement écrites du kilométrage précis et s’arrêtant exactement où l’indiquait la flèche. Elle étudia soigneusement les lignes dessinées. Aucune erreur possible. Une croix marquait l’endroit. Elle était exactement où elle était supposée être.
Au milieu de nulle part.
Gamay regrettait de s’être fait excuser quand son mari et elle avaient reçu la convocation à Washington pour une importante réunion de l’équipe des Missions spéciales de la NUMA. Elle avait essayé d’avoir ce rendez-vous avec le professeur Chi depuis des jours et des jours et ignorait si elle aurait jamais une autre occasion de le rencontrer. Elle se demanda ce qui pouvait bien justifier une convocation au quartier général à aussi bref délai. Ils avaient rejoint le Nereus, peu après son arrivée au Yucatân, pour prendre part au projet Météorite. Paul devait réaliser des graphiques par ordinateur sous-marin, ce qui était sa spécialité. Gamay devait offrir son expérience de biologiste marine. La mission paraissait vraiment agréable. Rien de lourd à lever. Puis était venu l’appel du quartier général.
Elle eut un sourire. Kurt Austin devait être revenu en scène. Il se passait presque toujours quelque chose quand Austin était quelque part. Comme cette histoire rocambolesque dont elle avait entendu parler sur le Nereus. Elle avait téléphoné à Paul pour voir si elle pouvait faire un saut par avion à la maison.
« Dieu du ciel, se demanda-t-elle en regardant autour d’elle, pourquoi le professeur m’a-t-il donné rendez-vous dans cet endroit perdu ? ». Les seuls signes de présence humaine, passée ou présente, étaient les vagues traces de pneus presque recouvertes d’herbes, qui disparaissaient dans la forêt. Elle chassa un insecte qui chatouillait le bout de son nez. L’efficacité du produit censé éloigner les bestioles diminuait. Sa patience aussi. Peut-être devrait-elle partir maintenant. Non, elle allait attendre encore quinze minutes. Si le professeur Chi ne se montrait pas, elle ferait ses paquets et regagnerait le navire de la NUMA. Et elle devrait admettre que les deux heures de conduite dans cette Jeep louée n’auraient servi à rien.
Quelle barbe ! Elle n’aurait plus jamais une occasion pareille. Elle voulait vraiment rencontrer Chi. Il avait eu l’air si aimable au téléphone, avec son accent américain et sa courtoisie espagnole.
Une mèche de ses cheveux acajou massés sur le dessus de sa tête tomba sur son nez. Elle souffla vers le haut pour la déplacer. Comme cela ne réussit pas, elle la repoussa de la main, vérifiant par habitude dans le rétroviseur. Elle aperçut une tache sur la route, tache qui grandit lentement, vibrant dans les vagues de chaleur. Elle se pencha par la portière pour mieux voir. L’objet se matérialisa en un autobus bleu et blanc. Elle se dit qu’il était sans doute perdu. Elle rentra la tête et buvait une autre gorgée d’eau quand elle entendit le crissement des freins à air.
Le bus s’était arrêté derrière la Jeep. La porte s’ouvrit et le silence de mort fut brisé par l’explosion d’une musique mexicaine hurlante de décibels et d’instruments de cuivre. Les autobus locaux étaient tous équipés de haut-parleurs datant probablement de Woodstock. Un unique passager descendit du bus. Il portait la tenue traditionnelle des Indiens, une chemise de coton, un large pantalon blanc et des sandales. Un chapeau de paille au bord légèrement roulé complétait sa tenue. Comme la plupart des Mayas, il était plutôt petit, un mètre cinquante-cinq au plus. Il y eut un échange de mots pressés en espagnol entre le passager et le chauffeur du bus et un signe d’adieu. La porte se referma avec bruit et, dans le grincement de ses engrenages, l’autobus reprit la route comme un gros Juke-box à roulettes.
Ouille !
Gamay se pencha pour écraser un insecte qui venait d’enfoncer son dard dans son mollet. Quand elle regarda à nouveau dans le rétroviseur, l’homme avait disparu en même temps que le bus. Elle vérifia le rétro extérieur. Il ne montrait que la route déserte. Bizarre ! Il fallait attendre. Elle perçut un mouvement sur sa droite et se raidit. Des yeux comme des pierres noires la regardaient par la fenêtre côté passager de la Jeep.
— Docteur Morgan-Trout, je suppose ?
L’homme avait la même voix douce à l’accent américain qu’elle avait entendue lors de l’appel téléphonique à Mexico. Elle se hasarda.
— Professeur Chi ?
— À votre service.
Il réalisa que Gamay fixait le fusil à canon double qu’il tenait au creux de son bras et se hâta de le baisser.
— Désolé, je n’avais pas l’intention de vous faire peur. Et toutes mes excuses pour ce retard. J’étais parti chasser et j’aurais dû prévoir plus de temps. Juan, notre chauffeur, a bon cœur, mais il lui faut bavarder avec toutes les passagères, jeunes ou vieilles. J’espère que vous n’avez pas attendu trop longtemps.
— Non, ça va très bien.
Ce petit homme brun avec sa large face couleur de noix, ses pommettes hautes et son long nez légèrement courbe n’était pas exactement ce qu’elle avait attendu. Elle se gronda de penser en stéréotypes.
Le Dr Chi avait vécu assez longtemps dans le monde des Blancs pour reconnaître une réaction embarrassée. Son expression figée ne changea pas, mais les yeux sombres étincelèrent de bonne humeur.
— Je vous ai sans doute surprise. Un étranger surgissant soudain avec un fusil, comme un bandido ! Je vous prie d’excuser mon apparence. Quand je suis chez moi, je redeviens indigène.
— C’est moi qui devrais vous présenter des excuses ! Je vous laisse là en plein soleil. (Elle tapota le siège à côté d’elle.) Je vous en prie, venez vous asseoir à l’ombre.
— Je transporte mon ombre autour de moi, mais j’accepte votre aimable invitation.
Il enleva son chapeau, révélant des mèches grises sur un front fuyant, enleva de son épaule un carnier de toile et s’installa sur le siège du passager en posant le fusil avec soin, culasse ouverte, entre les sièges, le canon tourné vers l’arrière. Il posa le carnier sur ses genoux.
— Si j’en crois ce sac, la chasse a été bonne, dit Gamay. Il soupira théâtralement.
— Je dois être le chasseur le plus paresseux du monde. Je me mets au bord de la route. L’autobus me prend et me transporte. Je marche dans la forêt. Pan ! Pan ! Je retourne sur la route et je prends le bus suivant. De cette façon, je peux profiter des délices solitaires de la chasse et la récompense sociale de partager mes succès ou mes échecs avec mes voisins. Le plus difficile est le timing des bus. Mais oui, ça s’est bien passé. Deux perdrix bien grasses, dit-il en soulevant le carnier de toile.
Gamay lui adressa un large sourire qui révéla le petit espace séparant ses deux dents du haut. C’était une femme attirante, pas superbe ni trop sexy mais pleine d’allant et vive comme un garçon manqué, ce que les nommes trouvent généralement attendrissant.
— Bien, dit-elle. Vos oiseaux et vous accepteriez-vous que je vous conduise quelque part ?
— Ce serait très aimable à vous. En échange, puis-je vous offrir un rafraîchissement ? Vous devez avoir très chaud à force d’attendre ici.
— Ce n’était pas si terrible, dit Gamay, bien que ses cheveux soient clairement hors de son contrôle, que son T-shirt soit collé au siège et que son menton dégouline de sueur.
Chi hocha la tête, appréciant le mensonge poli.
— Si vous pouviez faire marche arrière et suivre ce chemin un moment...
Elle remit le moteur en marche, engagea la marche arrière et, très lentement, quitta la route en tournant. Les pneus suivirent les ornières de boue sèche dans une forêt dense. Après environ quatre cents mètres, les arbres se raréfièrent et les ornières laissèrent place à une clairière ensoleillée dominée par un abri indigène. Les murs de la hutte étaient faits de bois, et le toit de chaume avec des feuilles de palmier. Ils sortirent de la Jeep et entrèrent dans la cabane. Le mobilier consistait en une table pliante en métal, une chaise de camping et un hamac tressé. Deux lanternes au gaz propane pendaient des chevrons.
— Même aussi humble que celle-ci, il n’y a pas de casa comme mi casa, dit Chi qui paraissait énoncer une certitude. Grattant le sol de terre battue de son orteil, il ajouta :
— Cette terre a toujours été dans ma famille. Des dizaines de maisons se sont élevées ici même au cours des siècles et le paysage n’a pas changé depuis qu’on a construit la première, au commencement des temps. Mon peuple a appris qu’il était plus facile de laisser une maison s’écrouler de temps en temps plutôt que d’essayer d’en construire une capable de résister aux ouragans et à la pourriture de l’humidité. Puis-je vous servir quelque chose à boire ?
— Oui, dit Gamay en cherchant une glacière des yeux. Avec plaisir.
— Suivez-moi, s’il vous plaît.
Il la conduisit hors de la hutte jusqu’à un sentier usé passant par les bois. Après une minute de marche, ils atteignirent une construction cylindrique couverte d’un toit de métal rouillé. Le professeur ouvrit la porte sans verrou et ils entrèrent. Chi s’approcha d’une alcôve sombre dans laquelle il fouilla, marmonnant en espagnol. Au bout de quelques secondes, un moteur se mit en marche.
— Je coupe le générateur chaque fois que je m’en vais pour économiser le carburant, expliqua-t-il. Le climatiseur se mettra en route dans très peu de temps.
Une ampoule nue s’alluma au-dessus de leurs têtes. Ils étaient dans une petite entrée. Chi ouvrit une porte et appuya sur le commutateur. Une lumière fluorescente clignota avant d’illuminer une grande pièce sans fenêtre meublée de deux tables de travail. Sur les tables étaient posés un ordinateur portable, un scanner et une imprimante laser, un tas de papier, un microscope et des plaquettes ainsi qu’un assortiment de sacs en plastique contenant des morceaux de pierre. D’autres, plus gros, soigneusement étiquetés, étaient posés ça et là. Partout s’empilaient des dossiers. Les rayons de la bibliothèque croulaient sous le poids d’ouvrages épais. Les murs portaient des cartes topographiques de la péninsule du Yucatân, des photos de sites et des dessins représentant des sculptures mayas.
— Mon labo, dit Chi avec un orgueil évident.
— Impressionnant !
Gamay ne se serait jamais attendue à voir un laboratoire d’archéologie tout équipé dans... enfin, au milieu de nulle part. Le Dr Chi était plein de surprises. Il sentit son étonnement.
— Les gens sont épatés quand ils voient le contraste entre l’endroit où je vis et celui où je travaille. Au-dehors de Mexico, je n’ai besoin que de fort peu de chose pour vivre. Un endroit pour dormir, un hamac avec une moustiquaire, un toit pour m’abriter de la pluie. Mais c’est autre chose quand il faut travailler. On a besoin d’outils. Et ici, l’outil le plus important, c’est la bonne conduite d’une enquête scientifique.
Il s’approcha d’un réfrigérateur déglingué mais utilisable, y fourra le camier de toile et sortit deux Seven-Up et des cubes de glace qu’il mit dans des timbales en plastique. Frottant la table de sa manche, il ménagea un espace au milieu des dossiers et apporta deux chaises pliantes. Gamay s’assit, but un peu de la boisson gazeuse et laissa le liquide frais descendre le long de sa gorge parcheminée. Cela lui parut meilleur que du Champagne. Ils restèrent un moment silencieux, profitant de leur boisson.
— Merci, docteur Chi, dit Gamay en acceptant un second verre, d’eau en bouteille cette fois. Je crois que je suis plus déshydratée que je ne le pensais.
— Il n’est pas difficile de perdre de l’eau dans ce pays. Maintenant que nos énergies sont rechargées, dites-moi en quoi je puis vous aider.
— Comme je vous l’ai dit au téléphone, je suis biologiste de marine. Je travaille sur un projet au large de la côte.
— Ah ! Oui, les relèvements de la NUMA près du site de tectite où est tombé la météorite du Chixulub. Gamay pencha la tête.
— Vous étiez au courant ?
— Le téléphone arabe, répondit-il en riant devant son expression étonnée. Bon, je ne sais pas mentir. J’ai vu un e-mail adressé, au musée, venant du Q.G. de la NUMA et nous informant par politesse du relèvement.
Il ouvrit le tiroir d’un classeur et en sortit une chemise en carton.
— Attendez, dit-il en lisant le contenu du dossier. Gamay Morgan-Trout, trente ans. Résidante à Georgetown, née dans le Wisconsin. Plongeuse experte. Possède un diplôme d’archéologie de l’université de Caroline du Nord. À changé de spécialité en s’enrôlant à l’institut Scripps d’océanographie où elle a obtenu un doctorat de biologie marine. Met ses talents au service de l’Agence Nationale Marine et Sous-Marine, de réputation mondiale.
— Pas une seule erreur, dit Gamay en levant un de ses sourcils joliment courbés.
— Merci, répondit Chi en replaçant le dossier dans le tiroir approprié. C’est en fait le travail de ma secrétaire. Après votre appel, je lui ai demandé de se brancher sur le site de la NUMA. Il y a une description complète des projets en cours avec de brèves biographies des participants. Êtes-vous parente de Paul Trout, le géographe des grands fonds dont le nom est aussi cité ?
— Oui, Paul est mon mari. Le Web ne mentionne probablement pas que nous nous sommes rencontrés au Mexique. Nous travaillions sur un terrain à La Paz. À ce détail près, je dirais qu’on vous a remis un excellent travail.
— C’est mon entraînement strictement académique, j’en ai peur.
— J’ai aussi tendance à retenir les détails. Voyons si je peux m’en souvenir. (Gamay ferma les yeux.) Dr José Chi. Né à Quintana Roo, péninsule du Yucatân. Père fermier. A fait d’excellentes études, envoyé par le gouvernement dans des écoles privées. Etudiant à l’université de Mexico. Diplômé de l’université d’Harvard où il est toujours affilié au prestigieux Musée Peabody d’Archéologie et d’Ethnologie. Conservateur du Musée national d’Anthropologie de Mexico. Lauréat du Prix MacArthur pour son aide à la rédaction d’un recueil d’inscriptions mayas. Travaillant actuellement à un dictionnaire de la langue maya.
Elle ouvrit les yeux et vit le large sourire de Chi qui applaudit légèrement.
— Bravo, docteur Morgan-Trout.
— Appelez-moi Gamay, je vous en prie.
— Un joli nom et peu commun.
— Mon père était grand amateur de vins. La couleur de mes cheveux lui a rappelé ce raisin du Beaujolais.
— Bien choisi, docteur Gamay. Je dois cependant corriger un détail. Je suis fier de mon travail sur le dictionnaire, mais le recueil est en réalité l’œuvre de plusieurs personnes de talent. Des artistes, des photographes, des cartographes, des archivistes, etc. J’y ai apporté mon humble talent de « découvreur ».
— De découvreur ?
— Si. Je vais vous expliquer. Je chasse depuis que j’ai huit ans. J’ai exploré le Yucatân, le Belize et le Guatemala de fond en comble. Au cours de mes vagabondages, je suis souvent tombé sur des ruines. Certains prétendent que je devrais porter une planche à Ouija autour du cou. Je crois qu’un chasseur doit être à la fois attentif à ce qui l’entoure et capable de parcourir de grandes distances. Si l’on marche assez longtemps et assez loin dans ces endroits, on tombe immanquablement sur ces restes laissés par mes industrieux ancêtres. Maintenant, dites-moi, quel intérêt une biologiste de marine peut-elle trouver au travail d’un chercheur totalement terrien ?
— J’ai une requête étrange à vous soumettre, docteur Chi. Comme vous l’avez noté dans mon C.V., j’étais chercheuse d’os sous-marins avant de m’intéresser plutôt à ce qui vit dans l’eau. Mes deux zones d’intérêt se sont combinées au cours des années. Chaque fois que je suis dans un nouveau territoire, je cherche des rappels d’anciennes preuves artistiques de la vie marine. La coquille Saint-Jacques en est un bon exemple. Les Croisés en ont fait leur emblème. On trouve des représentations graphiques et des sculptures de coquilles Saint-Jacques datant de milliers d’années, des Grecs et des Romains et même avant.
— C’est un passe-temps intéressant, dit Chi.
— Ce n’est pas vraiment un passe-temps, bien que je trouve cela amusant et reposant. Ça me permet un coup d’œil dans le passé, avant l’époque des dessins scientifiques. Je regarde les peintures et les sculptures et j’ai une idée de ce à quoi l’espèce ressemblait il y a des centaines ou des milliers d’années. En la comparant à la créature telle qu’elle est aujourd’hui, je peux voir s’il y a eu une évolution ou une mutation génétique. J’envisage de tirer un livre de ma collection. Connaissez-vous des sites archéologiques où l’on trouve des représentations de la vie marine ? Je cherche des poissons, des coquillages, des coraux. En fait, toute créature marine ayant retenu l’oil d’un artisan maya. Chi avait écouté attentivement.
— Ce que vous faites est fascinant. Et utile, car cela prouve que l’archéologie n’est pas une science morte et inutile. Dommage que vous ne m’ayez pas dit ça au téléphone. Ça vous aurait épargné le voyage jusqu’ici.
— Ce n’est pas un problème, car je souhaitais vous rencontrer personnellement.
— Je suis heureux que vous l’ayez fait, mais les sujets des artistes mayas sont plutôt les oiseaux, les jaguars et les serpents. Je crains que toute représentation de vie marine soit tellement stylisée que vous n’y reconnaîtrez rien de ce que vous avez vu dans les livres de biologie. Comme ces sculptures de perroquets dont certaines personnes prétendent qu’ils ressemblent à des éléphants.
— C’est justement ce qui rend le sujet plus intéressant. J’ai un peu de temps libre pendant les recherches sur le tectite. Si vous pouviez m’indiquer quelques ruines, je vous en serais reconnaissante.
Il réfléchit un instant.
— Il y a un site à environ deux heures d’ici. Je vous y emmènerai. Vous pourrez farfouiller, vous y trouverez peut-être quelque chose.
— Vous êtes sûr que cela ne vous dérangera pas ?
— Pas du tout ! (Il regarda une pendule.) Nous pourrions y être à l’heure du déjeuner, y passer une heure ou deux et être de retour en fin d’après-midi. Et vous pourriez rentrer au navire de recherches avant qu’il fasse nuit.
— Ce serait parfait. Nous pouvons prendre ma Jeep.
— Ce ne sera pas nécessaire, dit Chi. J’ai ma machine temporelle !
— Pardon ? dit Gamay.
— Il y a une salle de bains, ici. Pourquoi ne pas vous rafraîchir pendant que je prépare quelques sandwichs.
Gamay haussa les épaules. Elle prit son sac à dos dans la Jeep puis revint à l’intérieur, se rinça le visage et se peigna. Chi fermait une glacière quand elle sortit de la salle de bains.
— Où prend-on la machine temporelle ? demanda-t-elle pour rester dans le ton.
— Ce n’est pas un module de transport temporel, dit-il sérieusement en lui ouvrant la porte. (Prenant le fusil il ajouta :) Qui sait si nous n’allons pas tomber sur quelques oiseaux ?
Ils contournèrent le bâtiment laboratoire jusqu’à un sentier menant à un autre abri indigène. Celui-ci n’avait pas de murs, le toit étant supporté par des poteaux aux quatre coins. Sous le toit de palme était garé un véhicule bleu à quatre roues motrices Hum Vee. Gamay ne put retenir un cri de surprise.
— C’est votre machine temporelle ?
— Quel autre nom donner à ce dispositif qui peut vous mener dans des villes où ont autrefois fleuri d’anciennes civilisations ? Je me rends bien compte qu’il ressemble beaucoup à la version civile d’un véhicule militaire utilisé pendant la guerre du Golfe, mais ça a été fait exprès pour décourager les curieux.
Il posa la glacière à l’arrière et ouvrit la portière à Gamay. Elle occupa le siège du passager, reconnaissant le tableau de bord aussi couvert d’instruments que celui d’un avion. Paul et elle avaient eu une Hummer autrefois, à Georgetown. Fabriquée pour remplacer la Jeep, sa largeur imposante en faisait un formidable atout dans la circulation de Washington. Et les week-ends où ils ne travaillaient pas à remodeler leur maison de brique, ils aimaient partir avec elle sur les routes de campagne.
— Le chemin que nous avons pris avec la Jeep est en fait le chemin arrière, expliqua Chi. Il y a une piste par là qui mène droit à la route.
Il s’installa et mit le moteur en marche. Il arrivait à peine au-dessus du volant.
« En avant pour l’aventure », pensa Gamay. Elle s’appuya au dossier du siège et dit :
— Vitesse Facteur six, monsieur Sulu[17] !
— D’accord pour le facteur six, dit-il en passant une vitesse. Mais si ça ne vous ennuie pas, nous ferons d’abord un détour par le XIIe siècle.